Pour écrire un seul vers
Il faut avoir vu beaucoup de villes
D'hommes et de choses
Il faut connaître les animaux
Il faut sentir comment volent les oiseaux
Savoir quel mouvement font les petites fleurs en s'ouvrant le matin.
Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues
À des rencontres inattendues
À des départs que l'on voyait longtemps approcher
À des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci
À des matins au bord de la mer, à la mer elle-même
À des mers, à des nuits de voyages qui frémissaient très haut
Et volaient avec toutes les étoiles
Et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d'amour
Dont aucune ne ressemblait à l'autre
Il faut encore avoir été auprès des mourants
Être resté a'is auprès de morts, dans la chambre
Avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups
Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs
Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux
Et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent
Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela
Ce n'est que lorsqu'ils deviennent en nous sang, regard, geste
Lorsqu'ils n'ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous
Ce n'est qu'alors qu'il peut arriver qu'en une heure très rare
Du milieu d'eux, se lève le premier mot d'un vers